Voyager, seule et libre
Une nouvelle chronique aéroportuaire. Du côté tunisien, cette fois où depuis cet été les citoyennes sont officieusement invitées à présenter une autorisation paternelle ou maritale de sortie du territoire. Après témoignages, rumeurs, démentis et silence, mon tour est venu, suite à un aller-retour Le Caire-Tunis, de joindre ma voix à cette cacophonie hésitante.
Août 2013. Plusieurs témoignages dans la presse relaient le cas de Tunisiennes majeures bloquées à l’aéroport en raison de l’absence d’autorisation parentale ou maritale. Ce que j’ai d’abord pris pour du zèle d’un douanier s’est très vite confirmé par la récurrence des épisodes similaires qui ont finalement également touché la gente masculine en partance pour l’Égypte, le Maroc, la Jordanie, la Syrie et la Turquie.
C’est ainsi que mon cousin, à défaut d’avoir une femme dont on se serait peu soucié de son autorisation, a dû emmener son père à l’aéroport pour rejoindre le Maroc. Ce mois-ci, des amies ont également dû remettre à l’officier leur autorisation parentale ou maritale avant de s’envoler vers la Turquie. Si mes proches ont été prévoyants, ce n’est pas parce que les responsables politiques ont fait preuve de transparence, mais parce que l’agence touristique, alertée par ses voyageurs, les a invités à le faire.
Cette procédure qui n’a jusqu’aujourd’hui été officialisée est justifiée par le départ au djihad de citoyens tunisiens aux côtés de combattants syriens. Punition collective intempestive, ladite autorisation permet alors de filtrer les éventuelles sorties à risque vers la Syrie, ses pays limitrophes, le Maroc et l’Égypte.
Manque de pot, c’est dans ce dernier pays que j’étudie ! Alertée par mon cousin que la mesure puisse encore être d’actualité, j’envoie mon père vers les autorités adéquates pour remplir l’autorisation officielle. Quand l’agent lui demande l’âge de sa fille, très vite, il se rend compte que je suis majeure. Il appelle donc son supérieur qui lui fait comprendre qu’il se sent insulté par cette demande. Mon père lui explique qu’il aurait aimé ne pas venir remplir ce document l’obligeant à faire de la route, mais qui le met surtout face à une situation qui lui est insupportable. Le supérieur refusera de signer ladite autorisation.
Munie de mon autorisation d’une valeur inachevée, je présente mon billet et mon passeport à la police des frontières. S’en suit une série de questions allant de la plus pratique à la plus intime et pour mettre fin à cet interrogatoire qui n’a pas lieu d’être, je dépose mon autorisation, dans laquelle sont inscrits en lettres capitales les mots SEULE et LIBRE. Après l’avoir lu, elle m’annonce, troublée, que « c’est fini ».
Quoi donc ? L’interrogatoire, l’autorisation pour les majeurs ? « C’est bon », répondra-t-elle en me rendant passeport et billet. Je me contenterai de cette phrase sans vraiment comprendre pourquoi l’agence de voyages continue de demander aux voyageuses de se présenter avec ladite autorisation, sans vraiment comprendre pourquoi le jour même mes amies ont été invitées, de manière non détournée, à présenter leur autorisation, sans vraiment comprendre pourquoi l’autorité locale a refusé de signer mon autorisation, sans vraiment comprendre pourquoi « c’est fini ».
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