Limoune

Back to Ben Gurion airport – On prend les mêmes et on recommence

En lisant il y a un mois le post de Berliniquais sur son passage à l’aéroport de Tel Aviv – Ben Gurion, dans lequel le blogueur dénonçait l’obsession sécuritaire qui y régnait, Limoune –  ليمون ne pouvait empêcher son cerveau de faire appel à de vieux souvenirs. Elle a donc revécue sa propre arrivée dans ce même aéroport telle qu’elle l’a vécu, en juillet 2008. Avant de revivre la même scène, au début du mois de mars.

Une fois n’est pas coutume, les quatre heures d’interrogatoires et d’attente de juillet 2008 se sont transformées le 4 mars 2013 en quatre heures et demi. On ne déroge pas à la règle à l’aéroport de Tel Aviv. Les efforts vestimentaires – style BCBG – les sourires insistants et la détente face à la stupidité et au caractère raciste de l’appareil sécuritaire israélien n’auront ni évité, ni écourté l’attente. Le nom de mon grand-père n’a pas changé.

Hechmi ?!! Please follow this man for a short security control. [Pour changer !]

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Direction la salle d’attente
©Limoune

Cette fois-ci, je ne suis pas seule. Ma sœur m’accompagne, de quoi saupoudrer nos différents interrogatoires d’humour et de complicité.

Les mêmes questions sur le nom de nos aïeux, sur notre religion, sur l’origine de nos prénoms et de nos noms. Les « it does not matter » et les « you are kind » sortant de la bouche des soldats ne sont que du fake face à nos sourires hypocrites qui espèrent le « short security control« .

Deuxième soldat en charge du « shortsecuritycontrol« . Nous l’appellerons Baveman. Il faut bien trouver quelque chose à faire pour s’amuser dans l’attente – donner un surnom à chacun de nos interlocuteurs a été un de nos passe-temps privilégiés. Sans gêne, ni grâce, Baveman laisse dégouliner sa bave de 10 cm avant de lui faire faire le trajet inverse vers sa bouche, lui permettant ainsi de ravaler son surplus de salive. Naturellement, il enchaîne sur son interrogatoire en nous posant toujours les mêmes questions.

Dans la salle d’attente surveillée par deux soldats, de nouveaux visages apparaissent, certains basanés, d’autres métissés, certains stressés, d’autres habitués, mais aucun des visages n’affiche la mine enjouée que nous avons décidé de garder. Un coup de blues au bout de trois heures et l’image de Baveman ravalant sa bave nous fera retrouver le sourire, un coup de barre et la chanteuse Grâce rechargera nos piles.

C’est que nous nous étions préparées et avions dans notre sac de quoi patienter toute une journée. Gâteaux, cours de gestion, manuel de manipulation et Ces gestes qui vous trahissent... des livres de développement personnel que je n’ai pas pour habitude de lire mais qui ont le mérite d’être neutres, de ne pas dévoiler grand chose de mes penchants politiques et d’offrir un éventail d’activités insoupçonnées. Ces gestes qui vous trahissent est un bouquin qui nous permettra de changer les rôles et de nous amuser à étudier le comportement de nos geôliers.

Il [le soldat qui surveille la salle d’attente] s’abîme dans la contemplation de ses ongles, coudes en appui. Cette manière de se préoccuper de ses ongles hors de propos est un mécanisme de défense [vous avez dit défense ?].

Il [Baveman] croise sa jambe gauche sur sa cuisse droite tandis que l’un de ses pieds se réfugie en retrait sous sa chaise. Attitude d’indisponibilité et/ou de refus du dialogue. [C’est étonnant !] (Ces gestes qui vous trahissent, Joseph Messinger)

Il semblerait que ces gestes trahissent l’appareil sécuritaire israélien. Il serait d’ailleurs inutile de répertorier tous les gestes de nos interlocuteurs, ni toutes les questions de ces derniers. Stupides et répétitives, les questions n’ont sûrement pas fait avancer leur enquête mais ont mis notre patience à rude épreuve.

– From how many hours are you here ?

– Three [why ?]

– Three and half [why ?]

Je crois vraiment qu’ils n’ont plus de questions à nous poser, puisque chaque interrogatoire sera désormais ponctuée par cette question.

– Four [why ?]

Nous venons de remporter un sandwich, une bouteille d’eau chacune et le droit de déféquer dans les toilettes de l’aéroport ! Nous avons franchi le premier pallier ?

A notre retour, nous ne sommes plus que cinq, les retenus de notre vol, ceux des vols précédents et suivants ont pu rejoindre la porte de sortie, sauf nous. Nous, nous connaissons un arabe auquel nous allons rendre visite. Elle, elle est avec son mari, elle est palestinienne, son mari est américain. Elle est enceinte jusqu’au cou et pleure de fatigue. Lui, il est nigérien et la seule chose que nous avons pu suivre c’est qu’il est impatient et qu’il a rejoint une pièce de détention avant de rejoindre sa ville de départ dans le prochain avion. Il ne sera pas autorisé à entrer sur le territoire.

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La salle se vide. Il ne reste plus que le couple, leur valise et le manuel de la manipulation.
©Limoune

Au bout de 4h30, nos passeports nous sont remis. Pas ceux du couple américo-palestinien.


Arrivée à Ben Gurion- juillet 2008

« Israel may have the right to put others on trial, but certainly no one has the right to put the Jewish people and the state of Israel on trial. », Ariel Sharon.

Cher Ariel Sharon,

Je tenais à vous faire part de mon mécontentement. J’ai toujours aimé les jeux de rôles, mais celui que m’impose aujourd’hui la douane de votre pays m’insupporte. J’ai dû mal à endosser mon nouveau déguisement et sachez que je suis loin d’assumer le rôle qui m’a été attribué.

Badigeonnée d’une couche de maquillage digne de celle des stars libanaises, coiffée comme le soir d’un mariage, je n’espère qu’une chose : que cette dégaine me vaudra un passage devant la douane sans accrochage. Un peu trop naïve, j’étais loin d’imaginer l’étendu de la débilité profonde de vos hommes.

Et pourtant, j’avais suivi à la lettre les recommandations de ma supérieure. Mon téléphone avait bien été vidé de tout numéro suspect aux yeux d’Israël, à savoir les 00 963 (n° syrien), les 00 961 (n° libanais), et par précaution les 00 202 (n° égyptien). Les maillots et serviettes de bain avaient été soigneusement placés dans une valise « façon » hôtesse de l’air, de telle sorte que cette « poudre aux yeux » saute à la gueule de tout douanier susceptible de jeter un regard dans mes bagages. Bref, le Petit futé Israël à la main, je pensais rentrer sur cette terre sereinement.

Chronique d’une arrivée en terre israélienne

J’ai souvent entendu les Occidentaux critiquer la Syrie des heures durant sous prétexte qu’elle refuse l’accès sur son territoire à tout détenteur d’un passeport revêtu d’un tampon israélien. Mais je les défie de mettre un pied en Israël avec l’intention de visiter les territoires sans crier spontanément au scandale. La nonchalance est affichée dans tous les coins de l’aéroport de Tel Aviv- Ben Gurion et ne peut donc être loupée. Seuls les Israéliens seront traités avec intérêt. Et pour ceux dont la crédulité leur laisserait penser que ressembler à une juive (ce qui ne veut au passage rien dire) suffirait à gagner l’amabilité des officiers, ils ne font que s’égarer.

Tout individu qu’il soit seul et jeune, arabe et musulman, ou Peace et Love sera très vite considéré comme suspect et prié de se placer sur le côté. Un soldat au froc baissé vient alors vous récupérer et vous demande, chewing gum à la bouche, si vous savez parler hébreu. La réponse est « No », c’est parti pour une série d’interrogatoires devant des personnes de plus en plus importantes hiérarchiquement, du moins qui s’en donnent l’air. Les bureaux sont de plus en plus grands et les portes de plus en plus blindées. L’attente se fait longue et les propos (réducteurs et parfois islamophobes) ne font qu’affecter la zen attitude que j’essaie d’adopter depuis trois heures.

La politique de la « cruche »

Mon arbre généalogique est remonté, et j’ai beau mettre une consonance française aux prénoms de mes aïeux, je serais démasqué après avoir prononcé le nom « Héchmi[1] ». Le parcours de mon père immigré en Orient et en Occident sera ensuite retracé. Mes coordonnées (adresse, téléphone, mail) sont notées, mes documents officiels (passeport, carte d’étudiante et réservation d’hôtel) sont photocopiés à plusieurs reprises, mais une nouvelle question est désormais posée : « Que veut dire le mot Haba en arabe ? ». « Je n’en ai aucune, lui répondis-je, je pensais que mon nom de famille venait plutôt d’Israël. »

Autre question éliminatoire : « Will you go to the West Bank ? ». « West Bank ? », repris-je, « Non, j’ai pris de l’argent avec moi, pas de besoin de passer à la banque. » La réponse sotte ne plaît guerre à mon interlocutrice qui d’un ton remonté, me lance « West Bank : Palestine ». L’air outrée, je rappelle que je ne suis là que pour faire de la plongée, bronzer et accessoirement visiter Israël, les territoires palestiniens étant bien trop effrayant.

L’avion Rome-Tel Aviv avait atterri à 3h du matin, me voilà libre à 7h. Plus qu’un dernier contrôle : la valise est fouillée, mais je ne serais pas déshabillée comme ont pu l’être d’autres « terro-tourristes[2] », histoire de vérifier qu’un explosif n’est pas caché dans le « soutif ». Mon temps d’attente et de pression a été limité à quatre heures et demi, mon téléphone n’a pas été méticuleusement scanné et je n’ai pas passé 24h en isolation pour enfin me voir refuser l’accès au territoire. La politique de la « cruche » aurait-elle fonctionné ? Je ne peux l’affirmer, le caractère inédit de ma visite en Israël m’a en tout cas bien aidé.      


[1]              Les Hachémites ont  longtemps été les gardiens de la Mecque (Arabie Saoudite), ils ont régné sur l’Irak jusqu’à la révolution républicaine de 1958 et règnent aujourd’hui en Jordanie.

[2]              Appellation donnée par le gouvernement israélien pour désigner les internationaux se rendant dans les territoires occupés.

 


Révolution au futur – « On ne va pas attendre dix ans […] »

Quand on se faufile parmi des expatriés qui ont laissé une Tunisie à la douce et discrète odeur de jasmin (La Tunisie sous silence, Limoune, novembre 2007), ras-le-bol et incompréhension, mépris et déception entourent souvent les lendemains de la révolution.

A 1480 km de l’avenue Bourguiba, quelques Tunisiens s’impatientent avenue Jean Lolive, à Pantin, devant le consulat tunisien. Ils ne réclament pas la vérité concernant l’assassinat de Chokri Belaïd, ne protestent pas non plus contre le « Harlem Shake » en Tunisie. Ce qu’ils veulent, c’est enregistrer leurs enfants sur les registres du pays, renouveler leurs passeports ou bien se procurer un extrait de naissance.

Passeport tunisien
Passeport et carte consulaire tunisiens
©Limoune

Alors que certains se font recaler sans explication adéquate, les autres pénètrent dans le bâtiment, mais leur attente ne fait que commencer. C’est donc de nouveau de patience qu’il faut s’armer une fois franchie la porte d’entrée. Ce mot qui vient d’être mis entre les deux balises <B> et </B> afin d’apparaître en gras sur vos écrans, invite Limoune –  ليمون à en reporter sa définition

Qualité de quelqu’un qui supporte qqch avec calme.

Et afin d’annoncer la suite de son propos, Limoune –  ليمون se voit obligé d’ajouter la deuxième mention de l’Hachette 2006

Persévérance dans une longue tâche.

La révolution, une longue tâche. Une tâche longue et contrairement à certains préjugés, une tâche non linéaire. Dans les révolutions, il y a des pas en avant, et des pas en arrière. Et pourtant, il n’est pas rare d’entendre et au-delà, que « la révolution, c’était bien, mais c’est fini maintenant« .

Situation inimaginable la veille du 14 janvier 2011 : ça polémique au consulat! et pas sur l’incompétence des agents d’accueil, ni sur la désobligeance de celui qui se chargera de prélever nos empreintes. « Il faut qu’ils arrêtent maintenant. La Tunisie, il ne lui faut que la force. La dictature, la dictature, c’est ce qu’il faut aux Tunisiens pour éviter le chaos. »  C’est au tour de cet usager d’entrer dans la pièce convoitée, qui, sans persévérance aucune, ajoute ne pas vouloir « attendre dix ans pour cette révolution ». Sa patience dans la file d’attente aura en revanche porté ses fruits puisque le pouce enduit d’encre bleue, il vient de déposer son dossier de renouvellement de carte d’identité.

Si la file d’attente est linéaire en France, comme s’acharne à le démontrer monsieur l’usager, tout en rabaissant le Tunisien en Tunisie incapable de faire preuve d’organisation (et « c’est bien pour ça qu’il ne mérite pas la démocratie« ), les révolutions, elles, qu’elles soient françaises ou tunisiennes, ne le sont pas. « Les ruptures ne sont pas définitives. Certaines situations sont déviées pour ramener les insurrections populaires à des guerres civiles. Les révoltes populaires contre les régimes dictatoriaux confrontés à des répressions sanglantes ouvrent, de plus, la possibilité à toutes les manœuvres des puissances dominantes et environnantes. Elles rendent plus difficile la perception des enjeux de long terme par rapport aux situations dramatiques. »(« Les enjeux du Forum social mondial de Tunis« , Gustave Massiah)

Difficile alors de mettre la révolution au futur, son futur ne se mesure pas sur deux ou trois ans, mais s’étale sur le chemin d’une génération. Ce qui est en revanche observable aujourd’hui, c’est le mouvement, les mouvements apparents, les mouvements émergents, les mouvements sociaux, les mouvements citoyens. Laissons donc voir ce que portent ces mouvements dans le temps long. La douce et discrète odeur du jasmin ne laisse pas indifférente quand la fleur est prise par le mouvement ou par le souffle du vent.

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Révolution au futur
©Pasina & Limoune

Je ne suis pas inquiet parce que nous sommes dans une phase transitoire. Le mouvement révolutionnaire a débuté en 2008 avec l’insurrection du bassin minier. […] Avant la chute de Ben Ali, ce sont les associations (ligue des droits de l’homme, associations de défense des droits des femmes) et les syndicats (Ugtt) qui ont pris l’initiative de battre le pavé. [Alaa Talbi, directeur  du Forum social tunisien]. Source : Le Temps d’Algérie


La Tunisie sous silence – novembre 2007

Le 7 novembre dernier, le président Ben Ali célébrait ses vingt ans au pouvoir de la Tunisie. Focus sur une dictature non avouée : une société peu considérée et un peuple constamment traqué.

Djerba, Hammamet, Kairouan. La Tunisie, un concentré idéal pour vacances optimales : plages exotiques, ruines édifiantes, désert de solitude… Et pourtant, il suffit de retirer les colliers de jasmin au jeune homme en costume blanc, la « cuisine du soleil » aux mères tunisiennes, le narguilé aux innocents qui parlent du beau temps pour entrevoir un peuple muselé qui rêve de s’exprimer sans difficulté. Qui rêve d’une terre où pousseraient droit, dignité et liberté. Mais, la réalité estompe le songe et les rares voix résistantes sont rapidement écartées par un État policier. La carte postale tunisienne, façade habile de clichés, savant mélange de tradition et de modernité, en prend un coup.

Des esclaves muets

« La politique surtout en Tunisie, faut pas s’en occuper. Si t’es journaliste pour un média tunisien, tu fais comme ils font, tu applaudis. Sinon faut laisser tomber. Tu vas te mêler d’une affaire, tu t’en sors plus. Tu vas te salir pour lui. » Impossible donc, de parler politique avec des Tunisiens, et des deux côtés de la Méditerranée, ils se sentent en permanence observés. « Ils sont partout ces pourris. » Désemparée, une Tunisienne s’exprime : « Je ne pense rien de Ben Ali, je ne le connais même pas, alors pourquoi penser ? », pour finalement se confier : « Bourguiba ou Ben Ali, c’est le même système. Il n’y a pas de liberté. C’est simple, si tu veux être arrêté, présentes-toi comme opposant au gouvernement ». Le peuple attend toujours les élections pluralistes promises à l’aube du 7 novembre 1987. Peuple fatigué de découvrir, sur leurs téléviseurs, les mêmes chiffres au lendemain des scrutins présidentiels : 99.27 %, 99.91 %, 99.44 %, 94.48 %. « La seule opposition autorisée en Tunisie, elle est amadouée.  Je ne pense pas qu’elle ait des chances face à Ben Ali, alors que les opposants qui ont réellement du poids, on les retrouve soit en prison soit exilé à l’étranger. », commente-t-elle.Les Tunisiens ne sont donc pas dupes. La machine « Ben Ali » de propagande est à bout de souffle, ce qui explique que sa machine policière fonctionne désormais à plein régime. Quadrillage policier du pays renforcé. Guerre contre les sites subversifs et les comptes e-mail ennemis officialisée… Utilisée comme instrument politique, la peur permet au président d’asseoir son pouvoir.

Résignés à ne plus s’exprimer, les Tunisiens ont préféré se positionner en esclaves muets.  Continueront à crier en silence. Garderont cependant à l’esprit que « penser fort reste prohibé ». Feront tout ce qui est exigé pour pouvoir vivre en paix. Continueront à afficher des portraits dans leur foyer. A applaudir. Pour ne pas assister à l’écroulement de ce pays en lutte contre l’islamisme, aux acquis économiques et sociaux consolidés, au nom d’un seul mot : Démocratie. 

Limoune –  ليمون


Tête de A’roubi

Les voleurs de cuivre ont de nouveau frappé, le 8 janvier, privant le quartier nord de Maharès (à 30km de Sfax) de la téléphonie fixe et de sa connexion Internet. Il s’agit du deuxième vol en moins de deux semaines. L’occasion pour Limoune –  ليمون, non pas de faire l’état des dégâts, ni de relayer le ras-le-bol des usagers de plus en plus dépendants du réseau des réseaux, mais de faire la lumière sur le suspect n°1

du vol de cuivre, sur le suspect n°1 de tous les actes de vandalisme, sur le suspect n°1 de tous les pas de travers, le bouc-émissaire de Maharès, à savoir l’étranger. Nul besoin de chercher trop loin, dans la réalité locale de cette contrée périurbaine, l’étranger n’a pas de tête de Turc, il n’est pas Libyen, pas sub-saharien non plus, ni même originaire de Tozeur, de Tataouine, de Sidi Bou Zid, ou de Jendouba.

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Enfant de Bir Tofla
©Limoune

L’étranger est le plus proche voisin. Invisible sur la carte de Tunisie, à peine visible sur celle du gouvernorat de Sfax, son village d’origine, se nomme Bouhlel, Bouokkazen ou Nakta, Sidi Ghrib, Sidi Hmed, Bir Tofla ou Khaoui el Ghzal,  Al ‘Adi, ‘Ithet Chleya ou Mouassat. Il se trouve à 3 km de Maharès, ou à 13 km tout au plus.

Tirant essentiellement leurs revenus du travail de la terre, ses habitants sont péjorativement appelés a’roubi (terme général désignant le rural tunisien). D’autres lui ont préféré l’appellation tunisoise hokch, quand la désignation locale le présente comme chamtouri. Il est important d’expliquer l’origine de ce mot afin d’en déceler le caractère préjudiciable pour toute une population. Si le plus naïf des passants pense que le chamtouri est le campagnard, relayant un certain mépris, il  désigne en réalité un descendant des chmètra, une ancienne tribu désormais dispersée sur trois zones environnantes de Maharès, au nord, à Bouhlel, et à Nakta et dans l’ouest, à Al ‘Adi, à Ithet Chleya et à Mouassat.

Dans le parler local, chamtouri est devenu la dénomination de tout étranger – à la ville – à l’allure rurale, de tout conducteur de Forzale scooter-mobylette au prix défiant la concurrence des scooters sur le marché tunisien, de tout passager à l’arrière d’une 404 bâchée, de tout campeur sur les plages non aménagées de Chaffar. Adjectif stigmatisant, il est employé pour dénoncer un comportement déviant ou arriéré, un style vestimentaire has been ou peu appliqué, une ignorance présumée ou un manque de savoir-vivre.

Le préjugé, « ensemble de sentiments, de  jugements et naturellement d’attitudes individuelles qui provoquent, ou tout au moins favorisent, et même parfois justifient des mesures de discrimination » (R. Bastide, Le prochain et le lointain) est construit, solide dans l’imaginaire de bon nombre de maharessiens. Ce mépris vis-à-vis du rural pourrait se retrouver dans l’ensemble des villes tunisiennes.

Fort heureusement, il n’est pas généralisé à l’échelle d’une ville. Plusieurs fois par an, les maharessiens propriétaires de terres agricoles font appel à la main d’œuvre en provenance des villages alentours afin d’accélérer la récolte d’olives en hiver et celle des amandes en été. D’autres font appel aux femmes pour des travaux domestiques. Les occasions sont multiples pour faire connaissance avec le voisin, contraint aux migrations alternantes, pour tourner le dos aux préjugés, aux appartenances qui généralisent et englobent l’individu ; mais encore faut-il s’affranchir du rapport professionnel et de l’éventuel lien de subordination cher à quelques employeurs.

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Repas partagé entre ruraux et périurbains,
Champ d’oliviers, Maharès
©Limoune

Ces villages ruraux, ne disposant que d’un dispensaire – où un médecin est présent une seule fois par semaine – d’une école primaire – Nakta est le seul à disposer d’un collège –  et d’un hanout faisant office de boutique, de café de quartier et de taxiphone, dépendent du chef lieu de leur délégation, Maharès, pour les services municipaux, les services de police, les services hospitaliers, le tribunal de district et pour les études secondaires.

Quant à Maharès, comme toute ville périurbaine – « espace mixte où se [trouve] à la fois des ménages occupant des emplois urbains et des agriculteurs. » (« Urban Spread Beyong the City Edge », F. Goffette-Nagot dans Economics of Cities) – qui peut se targuer de son statut de chef lieu, dépend de Sfax – centre économique tunisien – pour le tribunal de grande instance, les soins de spécialistes tels que les cardiologues, les cancérologues, les neurologues, les centres de formation professionnels, les universités et surtout pour l’emploi. Si Maharès relève de l’espace urbain plutôt que du rural, ce n’est que parce que « la majorité de la population active qui y habite travaille dans une ville, en effectuant des migrations alternantes. » (« La ville périurbaine »Jean Cavailhès, Revue économique, 2003/1)

Il est alors clair qu’une incohérence dérangerait si les villes périurbaines tunisiennes, en quête d’équité et de justice sociale déconsidèrent leurs voisins ruraux, souffrant eux-aussi d’une inégalité criante en termes d’investissements publics, de développement et d’emplois.

Limoune – ليمون


Tunsie : Deux heures de faibles pluies et des rues inondées.

Pas de bottes de pluie pour que les enfants sautent dans les gigantesques flaques de Maharès. Pas de chaussée non plus pour faire craindre aux automobilistes un éventuel risque d’aquaplanage. A Maharès, à 30km de Sfax, seules les voies principales, menant vers d’autres villes et villages, ont été aménagées pour la circulation.

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Devant le collège, la route est impraticable, tant pour les véhicules que pour les piétons. ©Limoune

Lors de précipitations, même légères, le sable des pistes absorbe les eaux de pluie, avant de se laisser immerger. Quant à la chaussée, tout comme les quelques trottoirs de la ville, elle n’est pas régulièrement entretenue, devient déformée et bosselée, permettant aux nappes d’eau de s’accumuler dans les creux du sol. La situation est bien plus grave lors de pluies diluviennes.

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Face à la mairie, 10h après la pluie, en fin de journée, la rue est dans le même état. ©Limoune

L’investissement public en termes d’infrastructures municipales est peu visible. Limoune – ليمون se permet de profiter de ce post pour mentionner le cas de l’éclairage public. Équipée de lampes prévues à cet effet, la mairie a installé dans la ville ce dispositif, mais refuse de changer les lampes grillées. A la moindre réclamation, elle exhorte les riverains à acheter et à lui fournir l’ampoule de remplacement. Les habitants, qui ont fait le choix de ne pas cautionner ce système ou qui n’ont pas les moyens de remplacer les ampoules de l’éclairage public, se retrouvent, depuis trois ans, plongés dans le noir, au coucher du soleil. Certains collégiens sortent donc de leurs cours, évitant comme ils peuvent les marres d’eau, avant de se retrouver dans leurs quartiers sombres, les pieds dans la flotte.

Il n’est pas rare de voir certains s’emballer pour l’ouverture d’une nouvelle pâtisserie, le renouvellement d’un hôtel ou l’arrivée d’entreprises de vente à domicile de cosmétiques étrangères à Maharès, mais il est illusoire d’y assimiler le développement de la ville.

Il est également possible de se réjouir du prolongement de l’autoroute de Sfax à Gabès, ou des travaux d’élargissement de la chaussée sur la route de Sfax à Maharès, limitant les dépassements dangereux et parfois mortels, il est en revanche important d’exiger un investissement public pour le développement local.


Tunisie : Les voleurs de cuivre débarquent au village

La SNCF n’est pas la seule à voir ses câbles électriques dérobés. A moins de 2.000 kilomètres de la capitale française, les câbles de l’opérateur de télécommunications Tunisie Telecom ont été raflés la nuit du 1er janvier à Maharès, à 30 kilomètres de Sfax, coupant les lignes de téléphone et Internet jusqu’à ce soir, jeudi 3  janvier.

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Réinstallation des câbles de Tunisie Telecom, Maharès. ©Limoune

Si c’est une entreprise nationale qui a, cette fois, été touchée, les mois précédents, ce son

t des particuliers qui ont été les victimes des voleurs de cuivre. Des canalisations ont été coupées dans les logements cambriolés. Le cuivre a ensuite été clandestinement revendu à des ferrailleurs.

Seuls les vols qui ont porté préjudices aux entreprises nationales telles que Tunisie Telecom ou la société de production et de distribution d’électricité et de gaz naturel, la Steg, ont été relatés, dans le grand Tunis, dans le gouvernorat de Kairouan, dans le gouvernorat de Béja ainsi qu’à Sfax.


Touche pas à MES langueS

« Votre fille ne parle pas à la crèche, vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » Telle pourrait être formulée l’injonction-type adressée par des enseignants aux parents ayant fait le choix de parler à leurs enfants dans une langue (autre que le français ou l’anglais), bref une langue minorée (wolof, arabe, créole, turc, tamoul….)

« Votre fille ne parle pas à la crèche, vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » Telle a été l’injonction adressée à un père par la directrice d’une crèche parisienne du 13ème arrondissement.

Reprenons donc cette injonction et décortiquons ensemble le raisonnement de la pragmatique directrice de crèche :

  • « Votre fille ne parle pas à la crèche » : situation-problème.
  • « Vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » : solution ordonnée pour répondre au problème.

Plutôt que de discuter avec les parents des raisons qui auraient pu expliquer le mutisme et d’entamer un réel échange sur la situation-problème, la représentante de l’ordre dans la crèche a décrété seule que la langue maternelle était une menace pour l’apprentissage du français, voire pour le développement des capacités langagières. Mais en réalité, c’est le regard qu’elle a porté sur cette langue qui a pu constituer un obstacle à l’épanouissement linguistique. (Charles Di, ethno-psychologue, CHU Avicenne, Bobigny)

Le père imposa naïvement à la mère, fraîchement arrivée dans l’Hexagone, au français hésitant, de suivre la solution ordonnée qu’il pensait être un conseil. Elle adopta alors face à sa fille une langue qu’elle ne maîtrisait pas, née d’une traduction approximative et linéaire de sa pensée en langue maternelle.

Revenons à l’objet même de la langue, une lange médiatrice, facteur de communication, d’alliance et d’échange : nous constatons alors qu’elle n’est que « support » et que « c’est en parlant avec précision qu’on peut transmettre des connaissances » (Charles Di). La pensée, exprimée en langue non-maitrisée, apparait dès lors appauvrie.

Face à l’idée reçue de ce post (la « langue maternelle [est] une menace pour l’apprentissage du français »), Limoune – ليمون se permet d’affirmer que le plurilinguisme est une chance pour la construction de la personne, une chance pour l’apprentissage des langues.

Le temps passé dans une autre langue n’est pas du temps perdu pour le français. Le temps ne s’additionne pas, il peut même se multiplier. Plus la langue 1 est maîtrisée, plus la langue 2 le sera. (Christine Hélot, enseignante chercheure en sociolinguistique, dans le domaine du bilinguisme et du plurilinguisme).

Pourquoi le bilinguisme est-il valorisé, voire encouragé quand il s’agit d’une langue telle que l’anglais et est-il minoré dès lors que l’enfant parle soninké, berbère ou ourdou ? Quand la langue est valorisée, nous avons affaire à un bilinguisme additif, mais dès lors que le bilinguisme de l’enfant est mal considéré, on parlera de bilinguisme soustractif (Christine Hélot). L’enfant peut alors perdre la pratique de la langue de la maison, ce qui peut avoir des effet négatif sur son apprentissage.

C’est tout de même contradictoire de voir une Ecole qui encourage l’apprentissage des langues vivantes ne pas prendre en compte le bilinguisme de départ de certains de Ses élèves.

Il est temps d’arrêter de penser la langue minorée en terme d’handicap, de penser l’immigré ou l’enfant d’immigré en terme de déficit. Plutôt que de préconiser aux parents  » d’arrêter de parler [leur] langue !« , la directrice de la crèche parisienne du 13ème arrondissement, probablement à la retraite aujourd’hui, ne pourrait-elle pas sortir de l’asymétrie et opter pour une reconnaissance mutuelle ? (La migration comme métaphore, Jean-Claude Métraux)

Limoune – ليمون


Pas de téléphone arabe ce soir

Inutile de revenir sur les EDRDJ (Explication Des Règles Du Jeu) du jeu que nous connaissons tous, arbitrairement nommé dans son appellation française : le téléphone arabe. (Les Arabes lui ont préféré le nom de التليفون المكسور – téléphone cassé, tout comme les Espagnols, les Grecs, les Russes…)

Mais rappelons que le but – communiquer une information sans la déformer – est rarement respecté. Doutes et représentations – dont les Arabes ne sont pas seuls détenteurs – viennent entacher la compréhension et a fortiori la transmission du message.

M., retraité marocain, nous livre son témoignage sur son arrivée en région parisienne en 1964, alors que la France fait appel à la main d’œuvre étrangère en provenance de ses anciennes colonies. Faisant confiance au bouche-à-oreille sans intermédiaire, M. s’est confié à Limoune – ليمون, qui tâchera de ne pas s’ingérer dans son discours. La stratégie des phrases simples et courtes a été reprise par M. pour que son message ne soit pas brouillé.

« Je suis arrivée en France il y a quarante-huit ans. Je suis venu avec un contrat depuis Tetouan. A l’époque, la France voulait des maçons. J’ai donné mon nom. On a pris le bateau. Chez moi, ils nous avaient dit  » il y a quelqu’un qui va vous attendre dans chaque gare« . On avait tous le nom de notre société. Moi, ma société était dans la banlieue parisienne. Je suis arrivé à la gare d’Austerlitz. Il y avait quelqu’un avec un carton. Je ne sais pas lire. Mais, j‘ai reconnu le nom de la société. Ils nous ont emmené dans un foyer à Rosny. On était huit dans une petite chambre. Il y avait quatre lits superposés. Le lendemain, ils sont venus. Et, on a travaillé. Je suis resté dix ans avec le même patron. J’ai changé deux fois de foyer. Ma femme était au Maroc. Elle a eu une fille. Mais, elle ne pouvait pas venir dans le foyer. Après dix ans, j’ai un logement. Elle est venue. »

« C’est difficile aujourd’hui de trouver du travail. Avant, je vais dans une entreprise. Je dis « Il est où le patron ». Je dis « Je suis maçon ». Et ils ont besoin. Ils me gardent. Même avant les patrons, ils venaient dans les entreprises nous donner du travail. Parfois, à la gare, ils viennent demander. Et même dans les foyers, ils viennent nous chercher. »

« J’ai travaillé pendant trente huit ans. Après, j’ai eu des problèmes de dos et d’épaule à cause du travail. Le médecin du travail m’a dit d’arrêter. J’ai été un chômage et après c’est la retraite. Mais je ne sais pas maintenant si on peut. Si mes enfants, ils vont avoir ça. Même si le travail est difficile, c’est la crise. La retraite c’est dur, il faut continuer à travailler. »

Rapporté par Limoune – ليمون


Késako – Jeu des citrons – Limoune – ليمون

Généralisation – et préjugés qui en découlent – sont des biais qui nous font pour la plupart défaut.

Pratique le stéréotype ! quand on n’a peu de temps et que l’on veut que tous nos concitoyens lambdas partagent notre monde de sens. Jouez à Dessinez, c’est gagner et voyez ce que cela donne quand on demande aux participants de faire deviner le mot « chinois ».

Chapeau pointu et yeux bridés à peine dessinés que les joueurs ont déjà appuyé sur leur buzzer pour donner la bonne réponse.

Sauf que les stéréotypes véhiculés à longueur de journées dans les médias, dans les discussions sur le quai du métro ou dans les repas de famille sont porteurs de préjugés, de préjudices et de préludes à la méconnaissance et au rejet de l’Autre.

Le jeu des citrons permet à ses participants de connaître l’Autre au-delà de la généralisation. Parce que même si l’Autre partage – ou pas – avec sa « catégorie » – dans laquelle il a été arbitrairement rangé – des particularités communes, connaître l’archétype de la « catégorie » – rien d’autre qu’une construction mentale – ne me permet pas de connaître les quidams que l’on a choisi d’y rattacher. Si vous ne me suivez plus, si vous n’avez pas cliqué sur le lien « jeu des citrons » vous menant à la présentation du jeu ou si, par crainte du torticolis, vous avez décidé de mettre à plus tard, la lecture du document, je me lance brièvement dans une EDRDJ (Explications Des Règles Du Jeu). Les joueurs sont placés devant une table où ils observent de loin des citrons, ils sont alors chargés de les décrire.   «Jaune»«Rond», «Avec des points»«Avec des trous». Voici les réponses qui reviennent. Chaque joueur est ensuite invité à faire connaissance avec un citron, il peut alors l’observer, lui tout seul, loin de sa « catégorie », le toucher, lui parler. Les citrons sont de nouveau mélangés et le joueur devra retrouver son citron. Il le fera sans problème parce qu’il a pris le temps de voir que son citron n’était pas rond, mais ovale, qu’il était jaune, et qu’il avait pris quelques coups… bref, qu’il était différent des autres citrons sur la table et selon les cas, qu’il partageait peu ou (presque) pas les caractéristiques préconisées par sa « catégorie ».

Pour ceux qui sont arrivés à ce stade de la lecture, vous vous demandez sûrement pourquoi je parle de ça, et bien c’est tout simplement pour expliciter le choix du titre de ce blog « Jeu des citrons ». Parce qu’« il est plus difficile de désintégrer un atome qu’un préjugé » (A. Einstein), ce blog a la prétention de poster du contenu qui crie à travers ses lignes son ras-le-bol d’entendre nuit et jour des idées reçues conscientes et/ou inconscientes, qui hurle au-delà de ses lettres «#halteauxpréjugés !».

Limoune – ليمون (citron en arabe) ira donc à la pêche, à la cueillette ou à la chasse aux préjugés nichés dans nos informations médiatisées, arrachés de la bouche d’une passagère du R.E.R.,  assumés par ma cousine le jour de l’an ou dissimulés dans mon propre inconscient. Elle ira riant, pleurant, hurlant, émerveillée, enthousiasmée, paniquée, abasourdie, affaiblie ou meurtrie à la rencontre de l’Autre pour retrouver l’autre.

Et parce que c’est en agissant avec l’autre qu’on apprend à le connaître et qu’on commence à le comprendre, le contenu de ce blog fera suite à un agir-ensemble, à défaut d’un être-ensemble.

Limoune – ليمون