18 décembre 2012

Touche pas à MES langueS

« Votre fille ne parle pas à la crèche, vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » Telle pourrait être formulée l’injonction-type adressée par des enseignants aux parents ayant fait le choix de parler à leurs enfants dans une langue (autre que le français ou l’anglais), bref une langue minorée (wolof, arabe, créole, turc, tamoul….)

« Votre fille ne parle pas à la crèche, vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » Telle a été l’injonction adressée à un père par la directrice d’une crèche parisienne du 13ème arrondissement.

Reprenons donc cette injonction et décortiquons ensemble le raisonnement de la pragmatique directrice de crèche :

  • « Votre fille ne parle pas à la crèche » : situation-problème.
  • « Vous devez arrêter de lui parler votre langue ! » : solution ordonnée pour répondre au problème.

Plutôt que de discuter avec les parents des raisons qui auraient pu expliquer le mutisme et d’entamer un réel échange sur la situation-problème, la représentante de l’ordre dans la crèche a décrété seule que la langue maternelle était une menace pour l’apprentissage du français, voire pour le développement des capacités langagières. Mais en réalité, c’est le regard qu’elle a porté sur cette langue qui a pu constituer un obstacle à l’épanouissement linguistique. (Charles Di, ethno-psychologue, CHU Avicenne, Bobigny)

Le père imposa naïvement à la mère, fraîchement arrivée dans l’Hexagone, au français hésitant, de suivre la solution ordonnée qu’il pensait être un conseil. Elle adopta alors face à sa fille une langue qu’elle ne maîtrisait pas, née d’une traduction approximative et linéaire de sa pensée en langue maternelle.

Revenons à l’objet même de la langue, une lange médiatrice, facteur de communication, d’alliance et d’échange : nous constatons alors qu’elle n’est que « support » et que « c’est en parlant avec précision qu’on peut transmettre des connaissances » (Charles Di). La pensée, exprimée en langue non-maitrisée, apparait dès lors appauvrie.

Face à l’idée reçue de ce post (la « langue maternelle [est] une menace pour l’apprentissage du français »), Limoune – ليمون se permet d’affirmer que le plurilinguisme est une chance pour la construction de la personne, une chance pour l’apprentissage des langues.

Le temps passé dans une autre langue n’est pas du temps perdu pour le français. Le temps ne s’additionne pas, il peut même se multiplier. Plus la langue 1 est maîtrisée, plus la langue 2 le sera. (Christine Hélot, enseignante chercheure en sociolinguistique, dans le domaine du bilinguisme et du plurilinguisme).

Pourquoi le bilinguisme est-il valorisé, voire encouragé quand il s’agit d’une langue telle que l’anglais et est-il minoré dès lors que l’enfant parle soninké, berbère ou ourdou ? Quand la langue est valorisée, nous avons affaire à un bilinguisme additif, mais dès lors que le bilinguisme de l’enfant est mal considéré, on parlera de bilinguisme soustractif (Christine Hélot). L’enfant peut alors perdre la pratique de la langue de la maison, ce qui peut avoir des effet négatif sur son apprentissage.

C’est tout de même contradictoire de voir une Ecole qui encourage l’apprentissage des langues vivantes ne pas prendre en compte le bilinguisme de départ de certains de Ses élèves.

Il est temps d’arrêter de penser la langue minorée en terme d’handicap, de penser l’immigré ou l’enfant d’immigré en terme de déficit. Plutôt que de préconiser aux parents  » d’arrêter de parler [leur] langue !« , la directrice de la crèche parisienne du 13ème arrondissement, probablement à la retraite aujourd’hui, ne pourrait-elle pas sortir de l’asymétrie et opter pour une reconnaissance mutuelle ? (La migration comme métaphore, Jean-Claude Métraux)

Limoune – ليمون

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Commentaires

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I was recommended this blog by my cousin. I am not sure whether this post is written by him as no one else know such detailed about my trouble. You're amazing! Thanks!

Limoune
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Sorry. It's not your cousin who write this post. But thanks to him to advice it.

Ben
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Très intéressant, merci !

Limoune
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Si tu es sincère, j'en suis ravie !