Un cinéma tout aussi africain que nous
A l’occasion de la 25e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), lancées en 1966 par Tahar Cheriaa, je me suis rendue cet après-midi à la maison de la culture Ibn Rachiq afin de voir le film sénégalais de Dyana Gaye Des étoiles. Bien que j’aurais souhaité que le film fasse salle comble comme ce fut le cas pour L’Oranais de l’Algérien Lyas Salem deux heures plus tôt au cinéma Colissée, j’étais plutôt ravie de voir une cinquantaine de spectateurs africains – et qui plus est tunisiens – dans la salle.
Chaque instant de mon quotidien est une occasion de découvrir des aspects des humains qui m’entourent dans ce pays que certains se sont mépris d’appeler le « Paris africain ». Par ce post, l’idée n’est pas de généraliser une attitude observée chez plusieurs Tunisiens dans une salle de cinéma, mais de pousser un coup de gueule à l’encontre d’un comportement qui se veut de plus en plus blid [mesquin].
Des étoiles, film à la fois poétique, dramatique et drôle emporte les spectateurs dans une constellation de l’exil entre Turin, New York et Dakar. Les touches humoristiques du film font la joie des spectateurs qui éclatent de rire en entendant le franc-parler d’une Ivoirienne immigrée ou en appréciant les vannes bien calibrées de Sophie, la timorée sénégalaise perdue à Turin… L’humour prend parfois des allures universelles et touche les spectateurs, quel que soit le côté du Sahara duquel ils viennent.
En revanche, quand on demande à Thierno, Américano-Sénégalais ce qui l’a marqué en arrivant à Dakar, un tuniso-spectateur, qui n’a probablement jamais mis un pied de l’autre côté du Sahara et qui devrait regarder les rues de sa ville, précède l’acteur et hurle « lousakh [la saleté] » et une bonne partie de la salle se met à pouffer de rire, l’humour peut aussi se parer de son costume chauvin. Thierno vient à la rescousse de mes compatriotes et répond « les odeurs », ce qui ravit les comiques de la salle.
Pendant l’enterrement du père de Thierno à Dakar, les sages, réunis dans le cimetière, se mettent à psalmodier La illah ila Allah [Il n’y a de Dieu que Allah] avec bien évidemment un accent wolof. Et, comme si les Arabes avaient le monopole de la psalmodie du Coran, les rires fusent dans la salle. Certains des spectateurs de la rangée devant moi se bouchent le nez, d’autres se cachent derrière leur veste et les plus fiers assument pleinement leurs rires mesquin.
Mais, le pire reste à venir quand lors d’un gros plan sur Abdoulaye, immigré sénégalais à New York, les commentaires se multiplient sur son « gros » nez et ses lèvres « imposantes ». Si le film ne vous plaît pas ou insulte votre tolérance, veuillez sortir de la salle et ayez un minimum de respect pour l’humanité, l’Afrique, la culture et le cinéma.
Il ne suffit pas de s’offusquer ou de crier au mensonge face au propos de Mariame Touré dans sa lettre aux Tunisiens sur le racisme ordinaire en Tunisie pour dire non au racisme. Tahar Cheriaa, symbole du cinéma africain et arabe a toujours prôné son panafricanisme, et a fait des JCC le premier festival africain non pas pour analyser la morphologie des Sub-Sahariens à l’écran, mais pour entamer un vrai dialogue entre les cultures des deux côtés du Sahara.
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