Sri Lanka : à la recherche d’un refuge
Il ne reste plus que deux hommes, sur douze personnes, à l’atelier socio-linguistique que j’anime, à quelques heures de Paris. Deux hommes que le travail n’a pas extirpé de mon cours en journée. L’un, retraité. L’autre, réfugié. L’un, marocain arrivé en train il y a 50 ans, l’autre sri lankais débarqué il y a 150 jours. L’un, consterné, m’a lancé après l’atelier : « Y en a marre. Eux, ils arrivent, on les laisse venir sans problème. » L’autre, fatigué, m’a confié lors d’une sortie à Paris : « C’est difficile d’arriver jusqu’ici ».
K., je l’ai d’abord refusé. Cet atelier en journée est réservé aux personnes non ou peu scolarisées alors que, K., lui, était journaliste, au Sri Lanka. Basculant simultanément sa tête de haut en bas et de gauche à droite, signifiant un « oui » alors que j’en percevais un « non », cet homme réservé et peu rassuré, a fait bon usage des malentendus pour passer, depuis quatre mois, ses après-midi dans le groupe débutant A.
Un après-midi pluvieux a été le discret spectateur d’une fatigue apaisée, lors d’une sortie à Paris. K. se relâche. K. se lâche. K. s’attache. Sa voix, presque muette, marmonne en anglais une histoire que des crochets, bien trop larges, ne pourraient reconstituer. L’aiguille fine à perles, plus adaptée, n’est pas à l’aise quand il s’agit de commencer et hésite entre un début en Tanzanie ou en Arabie.
La fuite non préméditée
Né au Sri Lanka, en 1982, K. n’a gardé d’autres souvenirs qu’un pays en conflit. En guerre, de 1987 à 2001, son pays était le théâtre d’affrontements entre le gouvernement et ses citoyens tamouls. C’est dans ce contexte que K. entre à l’école, poursuit ses études au collège puis à l’université, d’où il sort diplômé en journalisme. Travaillant dans un climat tendu qui le met au devant des menaces, K. quitte le pays précipitamment en 2001. Il s’envole pour la Tanzanie, où il vivra un an et demi sans se sentir « considéré comme un esclave par une majorité cinghalaise ».
En 2002, le cessez-le-feu est convenu entre l’Etat sri lankais et le mouvement séparatiste des Tigres de la Libération du Tamoul et l’espoir renaît dans le cœur de K., ravi de pouvoir retrouver les siens. Les concessions du nouveau premier ministre Ranil Wickremesinghe rejoignent celle de l’un des chefs tamouls Anton Balasingham sur la voie de la paix. K. reprend l’avion, s’installe de nouveau chez ses parents et prend siège au sein d’une rédaction cinghalo-tamoule, toutes religions confondues. Mais, l’année 2006 pointe son nez. Un tsunami et un changement de gouvernement vont faire basculer l’ordre précaire. Le conflit reprend, là où il s’était arrêté, avec une force démesurée. De par sa fonction et ses écrits, K. est de nouveau menacé. Sa famille est inquiète pour son protégé. Elle se démène pour mettre de l’argent de côté. Mis bout à bout, les billets représentent, en 2012, la somme exigée par l’agence, chargée de l’acheminer loin de l’insécurité.
La fuite agencée
Vingt mille euros, c’est la somme que ses proches et lui-même ont dû débourser à l’agence clandestine qui envoient ses exilés à des kilomètres de l’océan indien. Certains le traverseront dangereusement pour rejoindre l’Australie. D’autres échoueront. K. a choisi l’option la plus sécurisée, mais également la plus douloureuse pour le porte-monnaie. L’Europe.
Le statut de réfugié ne pouvant pas être demandé depuis son pays d’origine, il faut à K. rejoindre un pays européen pour demander l’asile politique. Et ce, par tous les moyens, ceux s’offrant à lui étant illégaux et hors de prix. Les faux papiers délivrés en Arabie Saoudite, K. quitte les siens pour atterrir à Riadh, où il patientera sans idée du lendemain. Vingt jours plus tard, on lui remet son passeport dont une page est recouverte d’un faux visa français. Il accepte la destination et s’envole pour Paris.
Après sept mois en France, son séjour ne fait que commencer. Son faux visa a expiré. Sa demande d’asile a été envoyée. Son récépissé est son seul trophée.
Selon l’angle de vue, l’angle de vie, l’histoire est différente. Il est de notre devoir, migrants ou non, illégaux ou non, d’abolir le carcan de notre histoire personnel pour s’ouvrir et écouter celle des autres. Sans œillère, il n’est plus question de se plaindre de la présence des Sri Lankais en France au même titre que celle des étrangers en France. Je ne cesserai de le répéter, une expérience ne vaut que par et pour elle-même, mais mon aiguille fine à perles, n’a pas eu tort de s’y intéresser.
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