Roumanie – J’ai rencontré une légende
Voila bientôt quatre ans que j ‘entends parler de cette femme qui m ‘a touchée avant même de l’avoir croisée. Je ne me doutais pas encore que j’allais pouvoir la rencontrer en Roumanie en ce mois de mai et plonger ainsi entre histoires et Histoire.
Maria, c ‘est son nom. Mama mia, c ‘est celui qu’ont choisi ses petits-enfants et celui que j’ai adopté. Née en 1942, Mama mia va bientôt fêter ses 71 ans. Sa mémoire est intacte et elle va pouvoir m’en faire une démonstration. Rythmant son récit par des « a fost » (« c ‘etait » en roumain), Mama mia m’a ouvert les portes de son foyer, celle de sa cuisine, mais aussi celle de son passé. Le présent ouvre avec précision et sans erreur les tiroirs et armoires pour nous laisser plonger dans les années 50.
Une enfance marquée par la déportation
En 1951, alors âgée de 9 ans, Mama mia est déportée avec sa famille dans la plaine de Bărăgan, au sud de la Roumanie. Si « [ses] parents étaient des paysans travaillant terre et bétail », ils étaient avant tout considérés par le gouvernement communiste de Petru Groza, comme des propriétaires terriens. Leurs biens devaient donc être nationalisés. Et un système de déportation a été instauré par le décret 83 du 2 mars 1949, visant à déplacer, entre autres, les familles de propriétaires vers le sud-est du pays, peuplant ainsi cette région alors soumise à la sécheresse et aux inondations.
C’est ainsi que deux ans plus tard, Mama mia, chargée dans un wagon de marchandises, embarque vers une destination inconnue avec ses parents et les seuls biens qu’ils ont pu emmener avec eux : un porc et trois moutons. Après quelques jours de trajet, ils s’installèrent dans des champs. « Il n’y avait rien. Nous vivions dans des maisons creusées sous terre. » explique-t-elle. Puis, par leurs propres moyens, les parents de Mama mia, tout comme les autres déportés, se mirent à construire des maisons de fortune à l’aide de torchis, de chaume et de roseaux. Mama mia vécu dans l’une de ces maisons jusqu’à l’âge de 15 ans.
Au delà du stigmate identitaire
« Dès que nous en avons eu le droit en 1956, nous sommes directement revenus dans notre village, près de Timosoara« , raconte Mama mia. « Nous n’avions rien là-bas », poursuit-elle. Si Mama mia n’est pas retournée dans la plaine de Bărăgan, elle a appris à connaître la région de Timosoara, à découvrir la Roumanie et à parcourir l’Europe aux côtés de son mari.
Ces nouveaux voyages en train qu’elle continue à faire moins aisément pour rendre visite à sa petite-fille installée à Bucarest pourraient peut-être lui faire oublier les wagons à marchandises. Mais son récit mémoriel, lui, n’a pas été effacé. Désormais, accompagné par d’autres, ce témoignage fait partie de tout un récit de vie que Mama mia dévoile avec plaisir et amour.
Les photos de maisons en torchis sont alors recouvertes par celles d’un voyage pour lequel Mama mia a dû prendre l’avion pour l’unique fois de sa vie. Amman, Jerash et Pétra sont les décors des retrouvailles de Mama mia avec la famille d’un ami jordanien, connu il y a trente ans à Timosoara, alors qu’il y était étudiant avec sa fille.
La compensation de l’État, par le moyen d’une pension, se voulait suffisante. Le parcours de réparation qu’a pris le risque d’emprunter Mama mia, semé de reconnaissance et de richesses humaines, était bien plus courageux.
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