La Poste : « on n’a pas idée de ce qui se passe derrière le guichet »
Fin mars 2013, la Poste dédommageait une de ses employés en CDD pendant 22 ans. Si certains postiers ont obtenu gain de cause en portant plainte, d’autres restent à l’écart. Louisette raconte ses quinze années à la Poste.
« Ca ressemble à une fourmilière », c’est la première phrase que prononce Louisette pour briser la glace. Dans la salle de restauration, les femmes discutent par groupe. Leurs voix cohabitent, s’accumulent, s’entrechoquent. L’air grave et attristée, le sourire franc et fatigué, Louisette, les bras croisés, reste en retrait. Elle se frotte les yeux avant de dessiner des gestes lents et précis pour exprimer son exaspération.
Son visage n’est pas ridé. Seules quelques mèches blanches et des yeux creusés que révèlent des joues gonflées trahissent son âge avancé. Louisette, à la retraite depuis cinq ans, est incommodée par le bruit. « Je travaillais dans une salle pendant quinze ans, où on n’entendait que le bruit des claviers toute la journée. », explique-t-elle.
Laissant derrière elle Pointe-à-Pitre, sa ville natale, Louisette arrive en métropole, et décroche du boulot à la Poste. Après l’accueil, les virements à traiter, Louisette est chargée de l’encaissement des chèques. « Débit – Crédit, débit et crédit », récite-t-elle mécaniquement.
« Les gens parlent des fonctionnaires mais ils ne savent pas. Il faut avoir vécu la situation pour pouvoir la juger. » Par heure : 400 chèques à traiter. Derrière : une journée à assurer. Seule une pause de trois minutes toutes les heures viendront reposer les yeux esquintés. Et, il faut recommencer. Les poignets sont de nouveau légèrement apposés sur le bord du bureau permettant aux doigts de rapidement s’agiter sur les touches du clavier. Le canal carpien, le nerf meridian et les vertèbres lombales n’ont eu que quelques minutes de repos qu’ils doivent de nouveau garantir la tenue de Louisette, qui si elle veut profiter de sa prochaine récré, doit toutes les heures, faire afficher 400 – au minimum – sur le compteur de son ordinateur. Et son dos n’a pas intérêt à flancher, sa santé n’a pas intérêt à claquer car les congés maladies fermeront la porte aux éventuelles promotions et aux possibilités d’évolution. « On critique les fonctionnaires. Mais on n’a pas idée de ce qui se passe derrière le guichet. »
« La grande pause, c’est le midi. On avait de 20 à 30 minutes ». La pause déjeuner ne laisse pas aux ouvrières et ouvriers administratifs le temps de discuter. De s’organiser. Ni même de s’écouter. Sa santé, Louisette a cessé de s’en préoccuper. Son corps, elle a continué d’ignorer. C’est seulement après avoir quitté ses bureaux aliénants que Louisette devient attentive à ces maux. « Je ne me rendais pas compte avant », se confie-t-elle. La chirurgie s’impose. Son poignet droit a été opéré. Après une convalescence prolongée, l’arthrose digitale s’y est ajoutée et l’agilité de sa main droite s’en trouve déstabilisée. Louisette proteste. « La Poste ne reconnaît pas le syndrome carpien comme maladie professionnelle« .
«Une maladie est professionnelle si elle est la conséquence directe de l’exposition d’un travailleur à un rythme physique, chimique, biologique, ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle.»
Art. L461-1 à L461-8 du Code de la Sécurité Sociale
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